FORUM JULII OU NAVALE AUGUSTI DANS L'ANTIQUITE


 

Voici un extrait des notes explicatives de l'Abbé Girardin, publiées en 1729 dans un recueil intitulé l'HISTOIRE DE LA VILLE ET DE L'EGLISE DE FREJUS. Description du port Romain et de la Lanterne d'Auguste à une époque où les vestiges étaient plus évocateurs qu'ils ne le sont actuellement.

Les Phocéens, qui mettaient toute leur fortune dans le sort de la navigation, ayant fondé FREJUS, y firent ce port si conforme à leur génie, et si nécessaire à la splendeur et à l'augmentation de leur colonie : ils le creusèrent au pied de la ville et y firent venir les eaux de la mer par un grand canal.
Jules César, considérant l'heureuse situation et la sûreté de ce port, y fit quantité de réparations et d'embellissements, pour en faire le centre du commerce entre l'Italie et les Gaules, afin que notre ville pût porter avec dignité le nom de marché de Jules, dont il l'avait honorée.

J'ai mesuré de mes pas le circuit de ce vaste port; je descendis,  pour ce sujet, au bas de la chapelle St Antoine, où commençait précisément le quai méridional, dont les vestiges paraissent encore d'un bout à l'autre à droite, et je m'avançai de là jusqu'à une masure, que nous appelons la Lanterne, en comptant mes pas....

La Lanterne était le phare où l'on allumait du feu la nuit (1), pour servir de guide aux vaisseaux qui voulaient aborder. Le haut de ce phare est octogone; il est posté au bout du quai, sur le bord du canal à l'entrée du bassin... Cet édifice était assez élevé, et on voit alentour les vestiges de plusieurs autres bâtiments qui servaient ou de magasins ou de logements aux gardes qui veillaient à la sûreté du port, ou aux officiers qui exigeaient les droits du prince de la ville.

Ce quai méridional a communément vingt ou vingt et un pans (2) de largeur, quelque fois davantage. Un mur, haut d'environ deux cannes (3), régnait dans toute sa longueur et le bornait au midi; ce mur s'avançait même fort loin au-delà du phare, sur les bords du canal, où subsiste encore tout entier pendant un certain espace de chemin. On croit que les Romains l'avaient conduit bien avant dans la mer; les mariniers assurent même que, pendant la bonace, on en voit les restes dans l'eau, vers l'endroit où était l'embouchure du canal; il en parait quelques vestiges de temps en temps au-delà du phare.

Ce mur ainsi fabriqué servait à deux usages : il défendait le port et le canal, les mettait à couvert de la violence des vents du sud, et surtout du sud-ouest qui est dangereux sur nos côtes, servant, pour ainsi dire de rideau et arrêtant les sables que les vents soulèvent ordinairement. En second lieu, l'avantage qu'on en retirait dans la mer était de retenir par là le limon que la rivière, qui se dégorgeait à un demi lieu de là, pouvait amener. Ce limon, ou sable rougeâtre, qui fait changer de couleur à notre mer, après les grandes pluies, qui grossissent extrêmement le fleuve d'Argent, s'adossait contre le mur dont je parle et laissait l'entrée du canal libre; au lieu que, sans cette espèce de digue, elle aurait été infailliblement comblée dans la suite des temps.

Je remarquai au-delà du phare deux grosses pierres plantées dans la maçonnerie, rondes, élevées, et qui avaient onze pans de circonférence, lesquelles servaient à amarrer les navires. Enfin ayant soigneusement observé toutes choses de ce côté là, je revins sur mes pas et remontant sur l'éminence où est bâtie la chapelle St Antoine, je m'y arrêtai pour considérer ce poste. C'est une espèce de cavalier que les Romains firent exprès pour défendre le port de la fureur du nord-ouest. On accumulait pour cet effet, quantité de terre qu'on soutint par de bons murs, par des tours et d'autres ouvrages. On y bâtit des maisons et des magasins dessus; on en voit même quelques-uns au dessous avec certains conduits souterrains qui subsistent encore dans leur entier. Ce poste avait plus de sept ou huit cents pas de circuit car il faut remarquer qu'il commençait  près des murs de la nouvelle ville et que la voie par où l'on va présentement à nos moulins n'existait point alors. Il est fait en carré long et venait en biaisant un peu vers la Porte d'Orée. De là on découvrait à plein toute notre rade. Enfin, comme le mur du quai mettait le port à couvert du vent du sud, et que ce dernier ouvrage le défendait de ceux de l'ouest, de même la ville rompait les grosses brises. Ainsi ce port était sûr et commode.

Après toutes ces remarques, je repris mon dessein qui était de savoir combien le port avait de pas de circonférence et, recommençant à compter, j'en fis cinq cents de St Antoine à la Porte d'Orée. De cette porte, qui était celle du port (4), ainsi que je l'ai dit, j'arrivai près de celle de Méou, d'où je me jetai dans la voie qui mène à St Roch, le long de laquelle règnent des jardins entourés de murs. Comme on a amené dans ces lieux quantité de terreaux pour rendre ces jardins fertiles, on a aussi couvert ou démoli le quai du port de ce côté-là. Il n'en parait absolument point de vestige; mais on le trouverait sans doute, s'il était nécessaire en fouillant quelque peu....

A peine avais-je quitté cet endroit que, le quai même se présentant à découvert et presque en son entier, je commençai à y marcher dessus et j'allai jusqu'au bout du port vis-à-vis de la Lanterne....

Là, j'aperçus plusieurs vestiges de bâtiments qui répondaient au phare et aux édifices d'alentour et faisaient ainsi une espèce de symétrie à l'entrée du port. De ces masures au phare il y a environ cinquante cannes de distance. Cet entre-deux est aujourd'hui comblé de terres rapportées et se trouve changé en jardins potagers.

Je remarquai de plus que les deux quais étaient parallèles à l'entrée du port l'espace de plus de cent cannes et qu'ensuite le bassin du port s'étendait tout d'un coup vers la ville, du midi au septentrion. Il y avait un édifice sur la pointe que fait le quai du nord, cessant d'être parallèle avec le quai du midi. Il en reste encore  des voûtes entières. Je dois dire en passant que tout ce qui nous reste de bâtiments romains, où nous jugeons qu'ils habitaient, est fait en voûte. A l'occident du port, non loin de la Porte d'Orée, s'élève une grande masse de bâtiments qui est encore aujourd'hui entourée d'eau, où, selon les apparences, il y avait des troupes qui veillaient à la sûreté du port ou aux intérêts du prince et de la ville, et à maintenir la paix et le bon ordre parmi le prodigieux nombre de navires qui y mouillaient. L'intervalle de cette masure aux murs de l'ouvrage de St Antoine, contre lesquels la mer battait à mon avis, est aujourd'hui presque tout comblé et garni de jardins, aussi bien que l'espace qui reste de là vers la Porte d'Orée.

Enfin, ceux qui vont se promener en bateau sur ces grands rochers que nous appelons les Lions, à trois milles du port, peuvent remarquer que sur le milieu du Lion de mer, il y avait une tour et un phare qui annonçait le port de Fréjus.

L'empereur Auguste le choisit comme un lieu sûr et propre pour y faire garder le nombre innombrable de bâtiments qu'il avait pris sur Antoine au combat naval d'Actium en 31 Av J C; mais ce qui rendit ce port encore plus fameux, ce fût l'établissement permanent d'une flotte pour garder les côtes des Gaules....

César Auguste, qui chérissait la mémoire de Jules César, son oncle, fit à son exemple de grands travaux dans notre ville et voulut qu'outre le nom de Forum Julii, elle fût encore nommée NAVALE AUGUSTI, ainsi que Strabon l'appelle. Cela est conforme à ce que j'ai cité de Tacite il n'y a qu'un moment, et signifie que Fréjus était le lieu où Auguste tenait l'armée navale qu'il chérissait le plus. Les empereurs qui lui succédèrent suivirent sa méthode dans le gouvernement de l'Empire et tinrent toujours une flotte à Fréjus.

Notre port subsistait encore dans son éclat sous l'empire des Antonin, et, malgré les incursions des Vandales, des Goths et des Lombards, on a des preuves certaines, par des actes publics, que son entrée était encore libre et son bassin assuré au Xème siècle.

Le témoignage remarquable de ce prêtre, la description du Docteur Donnadieu dans son ouvrage " FREJUS LA POMPEI DE PROVENCE" (1927), les plans archéologiques de la ville mis à jour, les précieux conseils de Daniel Brentchaloff, Ancien Conservateur du musée de Fréjus, mes relevés topographiques, m'ont permis d'imaginer la cité romaine et de réaliser les restitutions imagées dans la suite de ce document.

Il y a très longtemps que  les pouvoirs publics s'intéressent à ce port enseveli. A quand sa remise en eau?

En attendant j'ai essayé de faire revivre le port et la cité romaine de Forum Julii à ma manière.
 


(1) - aujourd'hui les archéologues considèrent cet ouvrage comme un AMER, c'est à dire une balise de signalisation de route ou de passage.

(2) - 1 pan = 1/8 de toise = 0,25 m environ

(3) - 1 canne = 1 toise = ancienne mesure de longueur valant 1,95 m

(4) - les fouilles autour de cet édifice ont permis de considérer cette porte comme l'entrée des Thermes du Port